Sept règles pour une nouvelle académieIPenser que la peinture est une affaire personnelle que l’on peut signer de son nom propre est une erreur funeste. Elle s’est enracinée en nous depuis maintenant quelques siècles, depuis l’avènement d’un sujet bourgeois accapareur de tout, y compris de ces communs : nature, terre, eau, air… qu’il s’agirait de transformer en « biens », c’est-à-dire en valeurs, en marchandises et propriétés offertes au commerce. Nous étouffons à cause de cette rapacité boutiquière, et nous crevons des injustices qu’elle engendre.C’est très simple, l’art n’est pas un bien. On œuvre comme on respire. Cela ne nous donne pas plus le droit de signer ce qui advient que nous ne pouvons nous approprier l’air de nos poumons sous prétexte que nous l’avons inspiré quelques secondes. L’art aussi est un commun.IIŒuvrer c’est créer. Insensiblement, nous nous sommes faits à l’idée que l’art était un « travail » et le créateur un travailleur. Ainsi, le travail est devenu l’aune à laquelle tout devrait être évalué et jaugé. Mais quel besoin avons-nous de mêler le travail à l’art ? Volontaire ou imposé, le travail comporte par nature une part d’aliénation. Justement, l’art est précisément l’activité humaine qui permet de résister au travail et à toute forme d’aliénation.IIIL’art n’est pas une profession réservée à une élite d’artistes professionnels. Il ne souffre aucun statut, n’appartient à personne et il s’offre à tous, avec ou sans expérience, enfants ou vieillards, malades ou bien portants, etc. Just do it !IVŒuvrer c’est transmettre. Faire ne suffit pas. Encore faut-il montrer à d’autres comment faire comme nous-mêmes avons appris. Deux questions se posent au créateur : qui m’a montré le chemin pour arriver jusqu’ici, comment le montrer à mon tour à d’autres ?VExposer c’est s’en remettre au passant, au prochain… un peu comme autrefois on « exposait » les enfants abandonnés aux portes des églises en espérant qu’une bonne âme vienne les soustraire à l’appétit des chiens errants. L’exposition n’est pas une affaire commerciale, c’est l’espoir que l’œuvre commence une aventure nouvelle dans l’esprit et le cœur d’un visiteur.VIIl n’y a pas de meilleur atelier que l’endroit où l’on vit parce qu’il n’y a pas de meilleur endroit pour vivre que là où quelque chose se crée. S’il vous semble que des nuisances s’installent, changez de vie ou changez de pratique artistique. Lorsque l’art est séparé de la vie quotidienne, il se désincarne, devient un produit purement décoratif et vain.VIIPour ne jamais sombrer dans la vanité ou l’abattement, nous sommes libres de refuser la compétition, les prix, les récompenses… Les décorations sont bonnes pour les décorateurs ! Sans doute est-ce là le plus difficile car cela touche au narcissisme de chacun. Il n’empêche, l’art est affaire de jouissance, d’une jouissance sans entraves, or les rivalités et les jalousies sont précisément des entraves au plaisir. Les œuvres d’art sont incomparables, il n’existe que des différences et des singularités qui nous sensibilisent et nous stimulent plus ou moins.LXII 58 |
Seven rules for a new academyI To imagine that art is a personal issue that anyone can sign is a deadly mistake. The idea has been rooted in our mind for centuries ever since the advent of a greedy bourgeoisie, hoarder of everything, including our environment: Nature, Earth, Water, Air… that we transform into goods and estates available for trade and traffic. This narrow-minded predation suffocates us. It’s quite simple: art is simply not a good, nor a piece of property, nor an estate… We create just as we breathe, and that does not allow us to clam ownership of creation, just as we do not own the air that our lungs breathe. Art also is a common.
II We don’t work, we create. Imperceptibly, we have agreed with the idea that art is a job, a business, that the artist « works » to produce « works of art ». Working is now the benchmark for any creation. But, why should we mix art and labor? Whether voluntary or compulsory, there is no work without a part of alienation. Yet, art is precisely the human activity which helps us to resist both exploitation and alienation.
III Art is not a job reserved for an elite of professional artists. Art abides by no regulations, art belongs to nobody. Art is offered to everybody, with or without experience, to children and the elderly, whether sick or healthy… Just do it!
IV Creation is transmission. To make art isn’t enough. We have to teach others how to do it, just like we have been taught. The creator has just two questions to ask himself: who showed me the way; how can I do the same for those who come after me?
V Exhibiting is about relying on the passerby, the fellow man… Just like, in the past, abandoned children were « exhibited » in front of the gates of the church, in the hope that a kind soul would come to take them away and thereby preserve them from the appetite from stray dogs. Exhibiting has nothing to do with the market. It’s about the hope that one’s creation will begin a new adventure in the mind and the heart of a visitor.
VI There is no better studio than home, because there is no better place to live than where a creation is in progress. If you feel that something is disturbing this harmony, change your life or change your creative practice. When art is separated from everyday life, then it becomes decorative and vain.
VII To avoid vanity and dejection, everybody is free to refuse competition and awards. Decorations matter only for decorators! Of course, as it touches our narcissism, this point is more sensitive. However, art is about pleasure, a pleasure without obstacles. Competition and jealousy are precisely enjoyment obstacles. Art creations cannot be compared with each other; their differences and singularities stimulate our awareness. LXII 58 |